Les vieux

« Le dramatique dans la vieillesse, ce n'est pas qu'on se fait vieux, c'est qu'on reste jeune », écrit Oscar Wilde. Est-il vraiment si dramatique de vieillir ?

Pause-café
5 min ⋅ 26/09/2022

 « Je sais que parfois j’oublie, mais il y a des choses dans la vie qui devraient aussi être oubliées. Je me souviens des choses importantes. Bien sûr, au fil des ans, mon cœur s’est brisé. Mais les cœurs brisés nous donnent force, compréhension et compassion. » Jean d’Ormesson

Les plus chanceux d'entre nous ont eu un jour le privilège d'être touchés par un vieux : un grand-parent, un prof de fac, un héros de roman, un acteur, un « inspirateur ».

Quand je suis née, deux de mes grands-parents étaient déjà âgés. Mon grand-père paternel un peu bourru qui se déridait dès qu’il me voyait courir vers lui à l’aéroport de Perpignan (« on va te faire bronzer pendant un mois, petit sac de farine »), et ma grand-mère maternelle dont j’étais la dernière petite-fille, d’une douceur et d’une patience infinies. J’ai toujours connu les rides, les cheveux clairsemés qu’on recoiffe sans cesse pour qu’ils tiennent en place, la voix chevrotante, les élans de tendresse pudique. Nono et Graney étaient mes références en matière de personnes âgées, les plus précieux à mon cœur – d’autant plus que je les savais fragiles.

Les vieux racontent....

...l’Histoire gravée en eux, celle du monde mais aussi la leur, en commençant par la famille qu’ils ont créée, ses valeurs que l’on inculque à nos enfants et qu’ils transmettront eux aussi, en espérant que rien ne se perde, rien ne s’oublie.

Sur un vieux visage, chaque ride a un sens. 1001 émotions passées se lisent sur une peau fanée, dans une fossette, au coin des yeux. Les yeux ne changeront pas. Ils en ont tant vu qu’ils racontent à eux seuls, parfois sans besoin de mots.

Les mots peuvent dérailler un peu, mais qu’importe, on préfère écouter deux fois que de ne plus entendre du tout. On acquiesce, on sourit, on plonge dans les histoires du passé, on tient une longue main fraîche posée sur un plaid, parée d’une bague flottante à l’or jauni.

Les vieux mettent le feu !

Lors de mon enterrement de vie de jeune fille, mes amies m’ont emmenée danser au bal des pompiers (des mâles musclés à tous les coins de caserne, pas d’objection). À minuit, je m’entends crier « C’est super, mais où sont les petits vieux ? ». Ni une ni deux, le lendemain matin, 14 juillet, affublée d’une robe informe et d’un chapeau de paille déplumé, me voilà sur les bords de Marne, rosé et moules frites au menu... Bienvenue à l'élection de Miss Guinguette 2007 !

Je me retrouve en duo avec Patrick - trop de cheveux et de dents à mon goût, mais un groove d’enfer. Au programme : tango, valse, charleston ; 3 épreuves, 3 danses. Brr... c’est à nous. Des Micheline, des Jean-Claude, des amants des amis des inconnus tournoient sur la piste. Au bout de deux danses, mon binôme est éliminé par un jury intraitable. Jacqueline me tape sur l’épaule : « Moi, j’aurais voté pour vous si vous étiez un peu mieux habillée… ».

En retrait, j’admire les stars du jour, Yves et Bernadette, qui retrouvent leurs 20 ans. Ils ondulent sous mes yeux, appliqués, dans une euphorie contenue que trahit leur regard brillant. Du haut de mes 27 ans, moi qui ai encore tant à vivre, je veux être eux dans 50 ans. Miss Guinguette 2057 !

Les vieux émeuvent.

Leur fébrilité pour les choses nouvelles me touche : quand un portable sonne à plein volume et qu’ils paniquent, c’est forcément une question de vie ou de mort. Quand ils attaquent leur clavier d’un doigt rageur pour écrire un message. Quand ils tapent ledit message pendant des heures alors qu’on leur a juste demandé « ça va ? » après un rendez-vous médical (de quoi imaginer 5890 scénarios catastrophe). Quand ils se trompent de nom : « Tu sais le présentateur de Super Soirée, Jean-Luc Foucault ! Il a pris un coup de vieux, non ? ».

Les vieux entendent moins bien, n’y voient pas net, marchent voûtés, n’osent plus croquer, hésitent à boire du cidre, ont mal partout et pourtant, ils sont nos bouées vers la sagesse, le cap à suivre dans les tempêtes des temps modernes. Ils lisent des cartes routières, laissent des messages depuis un fixe, achètent le Journal du dimanche, écrivent des lettres, disent « auto », « bacho », « I-phone » et non Aïe-Phone, écoutent des CDs sur une chaîne stéréo. Ils comprennent les paroles des chansons d’autrefois parce qu'elles sont bien prononcées, disent « autrefois », boivent du lait de vache, mettent une tablette de beurre dans les gâteaux, ne connaissent pas les graines de chia, se resservent de porto.

Comme d’Ormesson, formidable épicurien, qui écrivait : « Je ne vivrai pas éternellement, mais tant que je serai encore là, je ne perdrai pas de temps à regretter ce qui a pu être ou à m’inquiéter de ce qui sera. Et si je le veux, je mangerai un dessert tous les jours. Avec du champagne. »

Il y a des vieux qu’on pensait immortels, mais que la vie (la mort) a rattrapés, un Aznavour, un d’Ormesson justement, la reine d’Angleterre. Il y en a, si talentueux, qu’on voudrait ne jamais voir partir, un Clint Eastwood qui continue à nous faire vibrer comme au premier film. Il y a de jeunes vieux avec qui on a tremblé comme des Zizou ou des Federer, qui ont fini par tirer leur révérence, bien malgré eux.

Les vieux inspirent...

Il y a eu Roger, 70 ans, grand randonneur défiant les sommets des volcans indonésiens, qui m’a appris à marcher sans me fatiguer (un volcan m'a largement suffi, et j'avais 26 ans), et puis Yvon, 75 ans, québécois, qui « comptait ses pulsations » et nous a coiffés au poteau au Kilimandjaro. Certains profitent d’une jeunesse éternelle car ils détiennent la clé pour lutter contre les effets du temps. Dans leur tête, dans leurs jambes. Ils affichent une énergie et une bonne humeur constantes, malgré les épreuves qu’ils ont forcément connues et qui les ont rendus plus forts.

La conclusion de cet hommage à nos aînés, je la laisse à Matisse qui en marge de ses nombreux talents a eu cette pensée lumineuse : « On ne peut pas s’empêcher de vieillir, mais on peut s’empêcher de devenir vieux. »         

Pause-café

Par Laurène Phélip