Des larmes de crocodile

D'un croco dépressif à une Bête optimiste, de la fiction aux petites choses qui font la vie, je vous raconte ici pourquoi j'ai toujours aimé écrire.

Pause-café
7 min ⋅ 16/09/2022

« Je vous écris une longue lettre parce que je n’ai pas le temps d’en écrire une courte. » Pascal

Sur quoi aimes-tu écrire ? m’a-t-on demandé la semaine dernière.

La vraie question est : pourquoi aimes-tu écrire ? Car j’aime écrire sur tout. Ce que je ressens, expérimente, constate, imagine, entends, surprends... Je note d’ailleurs les phrases de mes enfants qui ne peuvent être prononcées que par les enfants, dans leur candeur et leur simplicité brute. Leurs questions si naïves et parfois tellement justes, auxquelles on n’a presque pas envie de répondre, puisque quand ils sauront, ils auront déjà un peu grandi.

Pourquoi j’aime écrire ?

J’ai 3 ans. Ma mère me lit des histoires de monstres velus à pustules jaunes tapis dans les placards, de pingouin transi de solitude dans son Pôle Nord, de loup à grandes dents qui aimerait être gentil mais que tout le monde fuit comme le Corona – merci aux trois petits cochons et au petit chaperon rouge d’en avoir fait tout un plat.

J’ai 7 ans. Ma grand-mère m’apprend les accords du participe passé, « vendre ou vendu » ?

Je les teste sur une histoire, celle d’un croco (sobrement intitulée L’histoire de Croco), qui dès la première page – il y en a 5 – a l’air au fin fond du gouffre ; il faut dire qu’en 3 pages il va perdre père et mère, d’une maladie foudroyante ou dévoré par un lion. Bonne nouvelle : Croco les venge à la page 4. Mauvaise nouvelle, il « moura » (d’ennui - il était croco unique) à son tour page 5. Ma grand-mère aurait dû commencer par m’apprendre le passé simple ! Message subliminal à l’adresse de mes parents : je me sens un peu seule, j’aimerais bien un petit frère (ou 2) pour éviter le massacre familial.

J’ai 8 ans. Dans la chambre du 2e étage à droite de notre maison d'Houlgate, les touches de la machine à écrire font trembler les murs. J’attends derrière la porte tandis que la création prend possession du cerveau de ma tante, coule jusque dans ses veines, active ses doigts qui tapent à la cadence folle de son imagination. Les cousins bronzent dehors, jouent au tennis, fument au balcon pendant qu’elle, dans son cocon baigné de lumière, noircit des pages, se glisse dans la peau d’autres femmes, enfants, vieillards, et elle vit, pleure, danse, rit avec eux. Quand tout devient silencieux, j’entre sur la pointe des pieds. Pause dans le martèlement des touches : elle corrige au crayon, réécrit, reformule.

-       Dis, c’est facile de devenir écrivain ?

-      Commence par trouver un autre métier et écris à côté ma chérie, c’est plus sûr. Moi tu sais, j’ai dû attendre 40 ans pour en vivre…

En attendant d’être sur la paille, à 9 ans, j’invente La Bête : un mélange d’hippopotame et de monstre à 5 poils sur le crâne (j’aime écrire j’ai dit, je suis moins douée pour le dessin) à qui il arrive des choses… de la vie. Elle n’a rien à manger, mais heureusement est invitée à dîner chez des amis. Problème de taille : il y a du lapin au menu (pire scénario pour elle, et pour ma mère, tiens, tiens). Après quelques années de galère elle rencontre une amoureuse avec qui elle a deux garçons, Champagne et Shampooing – entre-temps, mes parents ont exaucé mon vœu, j’ai eu deux petits frères, Pinard et Savon. Mais revenons à la Bête : elle n’a pas d’amis (ceux du lapin ont dû mal le prendre) mais elle se force un peu, s’en fait un, et ça lui suffit parce qu’elle le gardera toujours. On est loin de la dépression du croco, car l’une des devises de la Bête est la suivante : « Avant de dire non, il faut savoir dire oui. » Bon, juste, pas au pervers dans la rue qui te propose une glace.

Je montre La Bête à ma tante, fière et tremblante comme le pingouin coincé sur son Pôle.

-       C’est bien ma chérie ! Mais tu sais, commence par trouver un autre métier et écris à côté, c’est plus sûr.

Je ne vous détaille pas toutes mes années jusqu’à 42, promis, je posais simplement les bases.

Pour résumer, à l’école, j’adorais les maths, la physique, la techno les rédactions, les dictées, puis la Philo avec « le » prof qu’on rêve tous d’avoir, qui part dans des considérations interstellaires que nous gobons la bouche ouverte, le menton dans nos paumes, les yeux ronds de mérou éberlué, c’est parfois un peu obscur mais si bien dit, du lyrique, du « vécu ». So « L’Etudiante » avant l’heure.

En fac de Lettres à la Sorbonne (comme Sophie Marceau, ben oui), parmi les illustres fantômes des siècles passés de l’amphi Richelieu, j’ai même remonté le temps avec l’Ancien français, presque aussi logique que les Maths (help) mais passionnant.

Je me suis ensuite orientée vers l’édition, car en plus d’écrire, j’aime lire, relire, traquer la faute d'accord (merci ma Graney) ou les répétitions. Au Canada, j’ai pu continuer - en adaptant « légèrement » mon style français parisien à la langue québécoise qui m’a tant appris, tout comme ceux qui la parlent, devenus pour certains des amis pour la vie (pour vrai, lô).

Au Danemark, un peu plus compliqué de trouver une maison d’édition sans o barrés dans les mots. Alors j’ai consacré 8 mois à l’écriture d’un roman jeunesse, car enfin j’avais le temps – avec un boulot à côté, pas si simple, c‘est un job full time. Je ne regrette rien, même si les éditeurs n’ont pas suivi les aventures de mon Oscar, j’ai adoré le faire, le faire relire, plonger dans cet univers qui prenait vie sous mes mains, dans mon esprit, sous ma douche, sur mon vélo, dans mes rêves ! Une aventure dans l’aventure.

De l’édition, je suis passée à la traduction (« trouve-toi un vrai métier ma chérie »), toujours au plus près du sens des mots, tentant de saisir les subtilités culturelles et linguistiques. J’ai justement rencontré des awesome international colleagues, on comparait nos « Atchoum », nos « A tes souhaits », nos « A ta santé », ils se moquaient du français qui emploie le même terme pour exprimer 15 trucs différents, moi je riais des « rrrr » néerlandais, de la tchatche italienne, des phrases allemandes de 10 mètres de long… Tout ça dans la bienveillance scandinave – on propose des cours d’empathie dans les écoles danoises, c’est pour dire.

Alors entre deux traductions, je voudrais écrire ici, pour vous qui aimez lire tout court et j'espère me lire. Ecrire sur les saisons (l’automne arrive, vous n’y couperez pas), les événements marquants (rentrée : « maman il me manque un cahier 29 pages A4 petits carreaux rouge vermillon avec couverture plastifiée et quand même rigide »), les sujets de fond (grand retour de l’Amour est dans le pré, par contre sans Koh Lanta, comment on survit ?), les mots d’enfants pas si français mais limpides (« Je vais essayer de pouvoir », Arthur, 8 ans, sept. 2022), les mots tout court, les sorties littéraires, le yoga qui fige un peu le temps, les ados d’aujourd’hui, les vieux d’hier et de demain, la nostalgie, l’amouuur toujours (pas forcément dans le pré), les amitiés anciennes et nouvelles, la Reine d’Angleterre, les richesses scandinaves, les trésors québécois, la fête de la carotte…

Tout cela « en pleine conscience », sans interruption, de la première majuscule au dernier point final. Sans attendre la réponse à un texto en train de s’écrire avec les points de suspension qui n’en finissent pas, sans post Insta ou LinkedIn qu’on n’a pas le temps de voir en entier qu’un autre s’enchaîne et qu’on ne sait plus ce qu’on regardait au départ, sans image parce qu’on en prend déjà trop plein les yeux. Seulement des mots, passerelles entre les âmes qui parfois peuvent toucher le fond du cœur.             

Pause-café

Par Laurène Phélip